De l’Europe des Traités à l’Europe des Européens


Extrait de la lettre adressée par Alain Lamassoure au Président de la République sur les conclusions de sa mission sur « Le citoyen et le droit communautaire »:


« Les référendums récents et les sondages confirment l’insatisfaction de beaucoup de citoyens envers la marche de l’Europe.


Une première raison est évidente. Jusqu’à présent, l’Europe n’a pas été à portée de leurs bulletins de vote. Les vrais décideurs à Bruxelles sont les dirigeants nationaux, qui sont élus sur les seuls enjeux de la politique intérieure. Et la Commission européenne, qui inspire toutes les politiques communautaires, apparaît comme un aréopage de super hauts fonctionnaires échappant à tout contrôle. Le traité de Lisbonne transformera radicalement ce système, en donnant le pouvoir aux citoyens : ce sont eux qui éliront les vrais législateurs européens (le Parlement de Strasbourg, qui obtient la plénitude du pouvoir législatif) et le chef de l’exécutif européen (le futur Président de la Commission).


Mais cela ne suffira pas. Il est temps, il est grand temps que l’Union mette les citoyens au coeur de ses politiques, alors qu’ils n’apparaissent aujourd’hui qu’une préoccupation seconde, derrière la réalisation du marché intérieur.


En effet, l’enquête à laquelle j’ai procédé en ce printemps à votre demande, a révélé l’importance du retard pris par l’Europe des citoyens par rapport à l’Europe des entreprises.


En particulier, plus de cinquante ans après le traité de Rome, les Européens appelés à séjourner dans un Etat de l’Union étranger à leur pays d’origine rencontrent encore d’innombrables problèmes juridiques ou pratiques, dont une grande partie ne relève d’ailleurs pas de la compétence communautaire.


Secondaires tant que les intéressés n’étaient que peu nombreux, ces problèmes s’accroissent de manière exponentielle avec l’explosion des mouvements de personnes au sein de l’Union: les effets additionnés des investissements internationaux, des échanges universitaires, du tourisme, du développement des compagnies aériennes à bas coûts, de l’attirance des seniors septentrionaux pour les cieux méridionaux, et surtout, de plus en plus, des unions familiales transfrontalières aboutissent dès aujourd’hui à chiffrer à plusieurs dizaines de millions les Européens dont l’espace de vie dépasse le cadre national et s’étend, peu à peu, à toute l’Europe. Il n’est plus possible de les ignorer.


L’enquête a permis d’analyser les insuffisances ou dysfonctionnements à tous les stades de l’élaboration et de l’application des lois: conception initiale, transposition en droit interne, information des administrations théoriquement compétentes, information du citoyen, traitement des dossiers individuels, et possibilités de recours, amiables ou contentieux.


La conclusion évidente est que l’Europe des citoyens reste à construire, et qu’elle ne pourra l’être que sur des fondements radicalement nouveaux : partir de la base, des personnes elles-mêmes, et non d’une vision centrale globale; et partir de l’avenir prévisible de ces jeunes Européens – nos enfants – appelés à peupler le même espace continental, et non de la situation passée ou présente, comme on l’a toujours fait jusqu’à présent. Cela exigera une révolution profonde de nos manières de travailler, et une remise en cause de certains principes ou concepts sur lesquels l’Europe, trop exclusivement économique, s’est développée jusqu’à aujourd’hui.


C’est dire qu’au-delà de la période de présidence française de l’Union, pour laquelle beaucoup de propositions peuvent être faite, il y aura matière à engager des réflexions et des débats de plus long terme, notamment dans le cadre du « Comité des sages » dont vous avez obtenu la création: le mandat adressé à celui-ci par le Conseil européen du 14 décembre dernier l’invite à « accorder une attention particulière aux moyens de mieux s’adresser aux citoyens et de répondre à leurs attentes et à leurs besoins ». »


Alain LAMASSOURE, le 26 juin 2008


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