Voir plus loin pour agir plus près : la démarche « Pays Basque 2020″


La prospective n’est plus à la mode. Pourtant, en la matière, la France avait été pionnière, avec le Commissariat général du Plan, créé par Jean Monnet. Mais depuis une vingtaine d’années, l’organe de vigie a perdu lentement son rôle, puis son influence, puis son nom et finalement sa direction. C’est une erreur. La montée des incertitudes, techniques, politiques, économiques, environnementales, doit, au contraire, nous inciter à voir plus loin pour agir plus efficacement. C’est ce que nous avions fait au niveau local avec la démarche « Pays basque 2010 », lancée au début des années 90. C’est ce que nous avons renouvelé avec « Pays basque 2020 ». Non par un travail d’experts en chambre, mais par la mobilisation de plusieurs centaines d’acteurs, économiques, sociaux, culturels, politiques, y compris, pour la première fois, beaucoup de ces jeunes qui seront le Pays basque de demain.


Qu’avons-nous voulu faire ?


Non pas un exercice de planification. L’illusion selon laquelle des hommes politiques seraient capables de se substituer aux agents économiques pour orienter les investissements privés est bien dissipée. La période couverte par « Pays basque 2010 » a été marquée par des novations imprévisibles : le développement foudroyant d’Internet et des nouvelles technologies de communication ; les retombées économiques inimaginables de la mode vestimentaire née des sports de glisse, le « surfwear » ; le dynamisme de nos voisins d’Euskadi, symbolisé par le musée Guggenheim de Bilbao et la spectaculaire reconversion industrielle ; plus récemment, la nouvelle révolution industrielle à laquelle nous conduit la lutte contre l’effet de serre, et le bouleversement de l’économie agricole avec l’apparition des OGM, le développement des biocarburants et l’explosion de la demande des pays émergents.


Aussi, loin de prétendre programmer l’imprévisible, dans un monde en changement rapide, nous voulons rester maîtres de notre destin.


Nous nous appuyons sur les résultats de l’étape précédente : exécutée à plus de 90%, la Convention spécifique (2000-2006), a permis d’accompagner beaucoup de projets innovants, et surtout de faire reconnaître l’identité et la spécificité du Pays basque : les résultats les plus marquants ont concerné la langue, la culture, d’une part, et les technologies nouvelles et la formation supérieure, d’autre part. Le contrat sur les langues régionales passé par l’Etat avec le département, la création de l’Office de la langue basque, le développement rapide de l’enseignement de l’euskara, les succès remarquables du parc technologique d’Izarbel et de l’ESTIA, l’aménagement des réseaux à haut débit, la création de l’Institut supérieur aquitain du BTP et du pôle scientifique et technologique de Montaury ont marqué cette période.


Sur ce socle, nous pouvons maintenant préparer le Pays basque à son avenir.


Priorité est donnée à l’emploi, grâce au développement durable. Même si nos résultats sont plutôt meilleurs que la moyenne nationale et régionale, nous n’acceptons pas qu’une proportion élevée de nos jeunes restent sans emploi et sans logement. Notre choix politique est de faire du Pays basque une région riche d’abord d’une économie de production – dans l’agriculture, l’industrie, l’artisanat – l’économie « résidentielle » ne devant avoir qu’un rôle second.


D’autres sauront toujours produire plus. Nous voulons produire mieux.


L’économie du XXIe siècle est fondée sur la connaissance. Sur l’éducation, la formation, la recherche. Sur l’audace, l’inventivité, le talent. La haute technologie est une image, mais elle n’est qu’une voie parmi d’autres : dans un monde hyper-concurrentiel, tout repose sur la qualité. Sécurité et qualité du produit, comme du mode de fabrication, traçabilité, aptitude au recyclage, économie de ressources rares ou de produits polluants, qualité des services, de l’accueil, de l’écoute, de l’hospitalité, recherche de la perfection, quelle que soit l’activité choisie, qualité des relations sociales et humaines, placées au sommet de la hiérarchie des valeurs. Y-a-t-il une philosophie plus conforme à la tradition la plus ancienne du Pays basque et, en même temps, un meilleur gage d’efficacité pour notre temps ?


C’est pourquoi nous avons mis l’accent sur les pôles de compétitivité, les grandes liaisons de transport, la protection de l’environnement, les économies d’énergie et le développement des relations avec la puissante locomotive du sud de la Bidassoa. C’est pourquoi le projet concerne toutes les entreprises, à commencer par les petites et moyennes. C’est pourquoi, pour la première fois, nous avons introduit la politique de santé et les relations du travail, qui sont au cœur d’une politique de qualité d’un territoire.


S’il n’appartient pas au pouvoir politique de se substituer à l’individu ou à la société, c’est lui qui est responsable de la traduction du développement dans l’espace de vie. Or, les évolutions spontanées sont ambiguës. D’un côté, le développement de la «zone intermédiaire » entre la côte et l’intérieur du pays, l’apparition du télé-travail, l’amélioration des transports et des liaisons de télécommunication redonnent des atouts nouveaux à des cantons qui étaient en voie de paupérisation. De l’autre, l’insuffisance des terrains à bâtir, l’attractivité croissante de trop beaux paysages, les embolies circulatoires causées chaque jour par les déplacements individuels, mais aussi, hélas, le peu d’empressement des habitants installés à faire de la place à de nouveaux venus, fût-ce à la génération montante, ou à des activités de production jugées trop facilement « polluantes » rendent plus aigus les «conflits d’usage ».


Nous refusons de choisir entre des inconvénients. De manière plus ambitieuse, nous voulons combiner les avantages. Nous devons à nos compatriotes l’emploi ET la qualité de la vie, la production ET la protection de la nature, le TGV ET le paysage, la récompense des initiatives entrepreneuriales ET la sécurité des salariés, le renforcement de l’identité basque ET l’ouverture culturelle sur un monde passionnant et prodigieux. Utopie ? Allons donc ! Pourquoi ce que beaucoup de maires tentent et réussissent dans leur commune serait impossible à l’échelle de notre petite région ? A partir du moment où nous savons travailler ensemble, comme nous l’avons appris, en particulier au sein des institutions originales que sont le Conseil des élus et le Conseil de développement.


En 2020, le Pays basque doit être une terre d’excellence.


Alain Lamassoure, le 4 janvier 2008.