L’Europe, pour quoi faire ?


Le premier travail de la Convention européenne sera de répondre à la question : l’Europe, pour quoi faire ? Voilà cinquante ans que la construction européenne a été engagée, dans le contexte très particulier du lendemain de la guerre mondiale et du plus chaud de la guerre froide. Entre-temps, les plaies de la guerre sont pansées. L’Union soviétique a disparu et tout le continent est libéré du communisme. Les six pays fondateurs ont été rejoints par neuf autres, et toute l’Europe de l’Est frappe aujourd’hui à la porte d’une Union qui était commerciale, puis économique, puis monétaire et qui ambitionne maintenant de devenir pleinement politique. Quelles tâches confier à l’Europe unie, quelles politiques conserver au niveau national ? Pour préparer les réflexions de la Convention, le Parlement européen m’avait chargé d’un rapport, dont les conclusions ont été adoptées le 16 mai par 71% des députés présents. C’est un résultat important.


En effet, le débat lui-même a été une « première ». Depuis le Traité de Rome de 1957, jamais les gouvernements ni les institutions européennes n’avaient jugé utile de faire le point sur la répartition des rôles au sein de l’Union.


En outre, le texte finalement adopté est le fruit d’un vrai travail collectif, qui dépasse largement la personne du rapporteur ou l’opinion d’un groupe politique. Il a pris en compte 170 amendements, émanant d’une trentaine d’auteurs différents appartenant à tous les groupes.


Nous n’avons pas cherché à réécrire les traités, mais à fixer les lignes directrices de la réécriture nécessaire. A partir de quelques choix politiques forts.


Ainsi, le texte actuel des traités a été rédigé par des diplomates pour leur propre usage. Un peu comme aurait été construite une automobile par des mécaniciens et pour les seuls mécaniciens. Le premier objectif est de mettre le texte à la portée de tous les citoyens. Donc de réécrire les traités dans l’esprit d’une véritable constitution de l’Union européenne: plus claire, plus courte, plus cohérente que les traités actuels.


Le cadre général des compétences serait conçu autour de trois catégories :


– La compétence de principe est dévolue aux Etats membres. Il n’est pas proposé de liste de compétences exclusives des Etats. L’énoncé de la compétence de principe nous est apparu plus fort : dans le silence de la constitution, compétence aux Etats.


– L’Union a des compétences propres. Dans ces domaines, elle peut agir seule (douanes, monnaie), ou avoir la responsabilité première : marché intérieur, concurrence, politiques de cohésion par exemple.


– Enfin existent des compétences partagées. C’est la liste qui sera de loin la plus longue. La constitution devra préciser au cas par cas quel est l’objectif et la portée de l’action de l’Union, en appliquant le principe dit de subsidiarité: veiller à prendre les décisions le plus près possible des citoyens. Les modalités des chasses traditionnelles n’ont pas à être décidées à Bruxelles.


A cette occasion, deux domaines très importants seraient transférés au niveau européen: la responsabilité première pour la politique étrangère et la défense, d’une part, la lutte contre la grande criminalité, d’autre part. Pour ces deux domaines essentiels, dix ans de tâtonnements ont confirmé à la fois la nécessité absolue d’agir en commun, ainsi, hélas, que l’inefficacité des procédures actuelles : reposant sur la bonne volonté des quinze gouvernements, elles se heurtent sans cesse aux objections de l’un d’eux. Pour s’en tenir à l’extradition des personnes suspectes de terrorisme, la France a refusé celle d’un « brigadiste » italien, la Grande-Bretagne celle d’un islamiste français, la Belgique et le Portugal celle d’étarras espagnols. Et que dire des incohérences des politiques d’asile et d’immigration des uns et des autres, alors que la suppression des contrôles entre nos pays nous oblige à une politique commune ?


Enfin, autre « première »: le Parlement européen a longuement débattu du problème des régions et des autres collectivités territoriales. Dans tous nos pays, celles-ci jouent déjà un rôle déterminant dans la gestion des politiques communautaires, notamment celle des Fonds structurels. En outre, dans 7 des 15 Etats membres existent des régions à compétences législatives, qui rencontrent des conflits de compétence avec l’Union. Aussi, j’ai proposé que la future constitution de l’Europe reconnaisse l’existence de « régions partenaires de l’Union ». Le Parlement n’est pas allé jusque là. Du moins le texte de compromis finalement adopté invite-t-il les Etats membres à faire des propositions à l’Union pour que leurs collectivités territoriales soient mieux associées à l’activité de l’Union.


La Convention a désormais sa première feuille de route. Un seul regret: le silence persistant des dirigeants nationaux français, comme de nos médias, sur ce débat essentiel, alors que les télévisions et la presse en ont rendu compte dans les pays voisins. Tous les candidats à l’élection présidentielle ont admis, pour le déplorer ou pour s’en réjouir, que l’Europe était désormais le cadre naturel des grandes orientations de politique économique et de politique étrangère. Et pourtant, à l’exception notable de François Bayrou, aucun n’en a tenu compte dans son programme. C’est aussi cette contradiction-là qui a été sanctionnée par les votes surprises du 21 avril.


Alain Lamassoure, le 22 mai 2002.