La paix au Pays Basque : malaise à Strasbourg


Une occasion gâchée : c’est le sentiment ressenti par une grande majorité des députés européens après le vote intervenu le 26 octobre sur une résolution relative au processus de paix au Pays basque. Au lieu d’être invités à émettre un vote unanime de toutes les forces politiques d’Europe contre la violence et pour la paix, comme cela a été le cas si souvent au Parlement européen (sur l’Irlande, les Balkans, le Moyen-Orient…), les partenaires de l’Espagne ont été sommés de se prononcer pour ou contre la méthode employée par le gouvernement Zapatero pour rétablir la paix chez lui. Sans surprise, le Parlement s’est alors divisé exactement par moitié, la motion préparée par le PSOE ayant obtenu une toute petite majorité relative (321 voix contre 311).


Les amis basques venus à Strasbourg pour assister au débat ont été heureux, et même fiers, de voir le problème basque évoqué devant le Parlement. Mais comment se satisfaire du résultat de l’opération ? Sur un tel sujet et à un tel moment, rien n’était plus facile que d’obtenir l’unanimité à Strasbourg.


Le Conseil européen avait montré la voie, par une déclaration de mars dernier que nous aurions pu reprendre telle quelle. La participation des chrétiens démocrates et des socio-démocrates au même gouvernement allemand facilite le dialogue entre gauche et droite au Parlement européen, tout comme le recentrage spectaculaire que le tout jeune leader David Cameron a imposé aux Conservateurs britanniques. Il va de soi que, sur tous les bancs, les représentants français aspiraient au même résultat, tandis que les Irlandais étaient disposés à mettre leur expérience au service de cette nouvelle cause.


Enfin, pour faire bonne mesure, deux jours avant le vote, Batasuna poussait la provocation jusqu’à déclarer qu’il ne condamnerait jamais la violence de l’ETA et que celui-ci ne déposerait les armes qu’une fois obtenue l’indépendance du Pays basque. Las ! L’unanimité n’était pas le but recherché. Si bien que le vote a divisé la gauche et la droite allemande, les Britanniques autant que les Français ou les Irlandais, et que, par exemple, tous les partis démocrates-chrétiens d’Europe ont voté contre la résolution proposée.


D’où le malaise, encore accru par l’audience bouleversante des associations des familles des victimes, comprenant certains de nos amis personnels, venues soutenir tantôt une thèse, et tantôt l’autre. Les députés européens ont eu le sentiment que les auteurs de l’initiative ont cherché, non pas à isoler ETA et les défenseurs de la violence, mais à remporter une victoire tactique sur l’opposition démocratique espagnole à la veille d’une élection régionale très importante en Catalogne. Je précise que le malaise aurait été identique si le Partido Popular avait été au pouvoir à Madrid, et le PSOE dans l’opposition. Comme nos partenaires auraient été bien gênés si la majorité (de droite ou de gauche) au pouvoir à Paris avait demandé de soutenir le lancement de négociations en Nouvelle-Calédonie ou en Corse contre le principal parti d’opposition (de gauche ou de droite).


C’est d’ailleurs l’analyse faite à Madrid par le quotidien El Pais, pourtant proche des socialistes. Mais je laisse les élus et les commentateurs d’outre-Pyrénées évaluer le résultat sur la politique intérieure espagnole. Quels enseignements en retirer, vu du Parlement européen, pour ce qui est de la paix au Pays basque ?


Premièrement, les institutions européennes en général, le Parlement en particulier, peuvent aider les forces démocratiques d’une Etat membre à régler un problème politique interne. Mais elles ne peuvent, ni trancher leurs différends ni, a fortiori se substituer à elles.


C’est encore plus vrai pour des sujets, quels qu’en soient l’importance, qui ne relèvent pas de la compétence communautaire. La résolution votée le 26 octobre ne vise d’ailleurs aucun article des traités européens – et pour cause : aucune disposition en vigueur ne prévoit la possibilité pour l’Union d’intervenir dans les affaires internes d’un Etat membre, notamment celles qui mettent en cause son organisation territoriale : l’article 5 du projet de Constitution l’exclut même expressément. A ce stade, il n’y a donc aucun motif juridique justifiant l’intervention de l’Union.


En revanche, si, comme nous l’espérons, le processus de paix démarre vraiment, il est vraisemblable que des mesures d’accompagnement de l’Union européenne seront politiquement utiles et juridiquement nécessaires. Par exemple, in fine, pour rayer ETA de la liste des organisations terroristes. Or, ce jour-là, la majorité requise à Strasbourg sera de 367 voix, dépassant de beaucoup l’effectif des alliés traditionnels du PSOE.


La comparaison avec le processus de paix irlandais est éclairante. Dans le cas irlandais, le conflit mettait en présence – et, au départ, opposait – deux Etats membres de l’Union, et il y avait deux organisations terroristes, se combattant de chaque côté de la frontière. En 1998, les institutions européennes ont été mobilisées à la demande, non d’un seul parti, mais des deux gouvernements, et des partis d’opposition anglais comme irlandais, unis sur un texte commun. Et le Parlement a été invité à soutenir, non pas simplement l’ouverture de négociations, mais l’application d’un premier accord politique majeur (accords dits du « Vendredi saint »), qui comportait un accompagnement financier communautaire pour des investissements transfrontaliers. Ce contexte a permis d’obtenir un vote quasi-unanime du Parlement européen.


C’est l’objectif que nous devons nous fixer pour la prochaine fois. En retenant ce dernier enseignement des précédents historiques : quand il s’agit de lutter contre le terrorisme, il vaut mieux que le dialogue commence entre les démocrates eux-mêmes, et que ceux-ci montrent un front uni plutôt que de se diviser devant les adeptes de la violence.


Alain Lamassoure, le 31 octobre 2006.