Relancer l’Europe : le plan “S”


Quinze mois après le référendum sur la Constitution européenne, on attend toujours le fameux « plan B », le projet alternatif, que Laurent Fabius promettait en cas de victoire du « non ». En revanche, les conséquences politiques du refus de celle-ci, facilement prévisibles, se sont confirmées : la France a perdu influence et crédibilité dans une Europe en panne. Faute d’avoir changé les règles de fonctionnement de l’Union pour les adapter au doublement du nombre de ses membres, nous vérifions, mois après mois, semaine après semaine, combien l’action exclusivement nationale est impuissante sur beaucoup de sujets, et combien l’Europe est paralysée là où on a le plus besoin d’elle.


Limitons nous à trois sujets, dont même les défenseurs les plus sourcilleux de la souveraineté nationale ne contestent pas la dimension européenne.


La lutte contre le terrorisme ? Toute décision relève, à Bruxelles, d’un Conseil qui comprend tous les Ministres de l’Intérieur et de la Justice des Etats membres : 50 Excellences, qui ne peuvent décider qu’à l’unanimité ! Résultat : depuis le 11 septembre 2001, alors que l’Amérique a su se protéger des fous d’Allah, nos pays sont devenus les premières cibles. En 2004, Madrid a connu l’horreur en gare d’Atocha, avant Londres l’année suivante et, en cet été 2006, l’Allemagne n’a échappé que par miracle à un triple attentat contre ses chemins de fer, tandis que l’Angleterre découvrait avec effarement la préparation, sur son sol, d’une opération qui aurait été encore plus spectaculaire et meurtrière que la destruction du World Trade Center.


La maîtrise de l’immigration ? Là encore, rien n’est possible sans l’accord unanime des mêmes 50 Ministres. Donc, quasiment rien ne se fait. Et pourtant, tous nos Etats sont devenus désormais des pays d’immigration, et tous préfèrent l’immigration choisie à l’immigration subie. Mais, dans l’impossibilité de décider à Bruxelles, chacun se dote de règles nationales, pourtant parfaitement inopérantes dans un ensemble où toutes les personnes circulent librement. Tout le monde convient qu’il faut traiter le problème à la source, dans les pays d’où partent ces millions de désespérés. Mais que peut le petit Luxembourg, face à l’immense Nigéria, le Portugal, face à l’Ukraine, et même un pays comme l’Espagne, qui n’a de représentation diplomatique que dans six pays africains ? Nous devons évidemment unir nos moyens d’aide, de pressions et de sanctions sur les quelques pays concernés.


L’énergie ? C’est aujourd’hui la préoccupation majeure de toutes les grandes puissances, et la cause première de la baisse du pouvoir d’achat de nos compatriotes. Mais les traités actuels n’autorisent même pas l’Union à coordonner les politiques nationales. Nous continuons donc un « chacun pour soi » inefficace et ridicule, les uns relançant le nucléaire que les autres prohibent, les uns augmentant la fiscalité de l’essence qui baisse ailleurs, et tous faisant la queue à Moscou pour négocier séparément l’achat du gaz russe.


Il n’y a plus de temps à perdre. C’est pourquoi, après avoir abondamment consulté en France et en Europe, Nicolas Sarkozy a présenté le 8 septembre à Bruxelles une série d’initiatives qui pourraient être lancées dès le printemps prochain. Il s’agit de donner à l’Union européenne :


– De nouvelles règles du jeu. Puisque la voie constitutionnelle est barrée, il propose de mettre au point, non pas une nouvelle constitution, mais un mini-traité. Ce texte se contenterait de reprendre toutes les dispositions qui figuraient dans le projet de constitution qui, sans préjuger du caractère de l’Union (fédérale ou non, libérale ou sociale etc.), ne concernent que les « règles du jeu » : qui décide et comment. Remplacement de l’unanimité par la majorité, pouvoir législatif donné au Parlement européen, désignation d’un Président à temps plein et d’un Ministre des Affaires étrangères de l’Union, élection du Président de la Commission par les citoyens à travers le Parlement européen etc. Ces dispositions sont acceptables par les pays qui ont dit « non » – elles n’ont pas été contestées dans la campagne du référendum -, comme par ceux qui ont ratifié la Constitution, puisqu’ils les ont expressément acceptées. Réunies dans un traité ordinaire, elles pourraient entrer en vigueur dès 2009 après avoir été ratifiées par la voie ordinaire d’un vote du Parlement dans chacun des Etats membres, comme ce fut le cas pour l’actuel traité de Nice.


– De nouvelles ressources financières. Nicolas Sarkozy est le seul grand leader à avoir osé aborder ce problème difficile, aussi important que celui des institutions : la crise politique de l’Europe se double d’une crise financière, l’Union n’ayant pas les moyens budgétaires des politiques qu’elle décide. La raison en est simple : le budget communautaire est financé par des contributions des budgets nationaux. Or, dans tous les grands pays – à commencer, hélas, par la France – ceux-ci sont lourdement déficitaires : si bien qu’aucun ne veut ni ne peut consacrer plus pour des politiques européennes. Résultat : même un programme super-prioritaire comme Galileo, le futur GPS européen, n’est pas assuré de son financement avant 2013 ! Il faut donc trouver des ressources fiscales qui alimentent directement le budget de l’Union sans peser sur les budgets nationaux, et sans augmenter la charge totale des contribuables : c’est ce que nous appelons le « principe de constance », qu’il faudra inscrire dans le traité.


– Des frontières précises. Nos compatriotes n’acceptent pas de participer à une Europe sans frontières, et rejettent massivement la perspective de l’élargissement de l’Union à des pays extra-européens comme la Turquie. Le moment est venu d’en prendre acte. Et de préciser ce que nous entendons par le « partenariat privilégié » que nous proposons aux pays voisins, que nous voulons aider dans leur marche vers la démocratie, et avec lesquels nous souhaitons entretenir des relations de voisinage pacifiques et fructueuses. Nous proposons un cadre qui pourrait intéresser l’Ukraine aussi bien que la Turquie, les pays du Maghreb et même, le moment venu, Israël, le futur Etat palestinien et leurs voisins du Moyen-Orient.


– Des projets politiques. Les sujets évoqués au début de cet article (sécurité, immigration, énergie) figureront évidemment parmi les priorités que l’Union rénovée devra traiter. Il faut y ajouter les grands enjeux de l’environnement, la recherche sur les technologies du futur, et une stratégie commune face à tous les aspects de la mondialisation : élaboration d’une défense commune, politique de l’euro face au dollar, politique commerciale face aux puissances émergentes, défense des identités et des modèles sociaux différents.


Dans la France d’aujourd’hui, aucun programme électoral n’est crédible s’il n’intègre la dimension européenne. Nicolas Sarkozy propose la sienne. Puisse le « Plan S » inciter ses concurrents à faire de même. Ainsi, les Français pourront juger en connaissance de cause : c’est de leur soutien explicite que le futur Président de la République tiendra son autorité à Bruxelles et sur la scène internationale.


Alain Lamassoure, le 9 septembre 2006.