Quelle fiscalité à l’âge de la mondialisation ?
Les libres propos que j’ai tenus brièvement lors de la rencontre interparlementaire du 8 mai dernier à Bruxelles ont suscité, particulièrement sur internet, des réactions qui m’amènent à apporter les précisions suivantes.
1 – Au sein du Parlement européen, je suis en charge de proposer une réforme du financement du budget communautaire. Ce problème relevant de la compétence des Etats membres (l’Union européenne n’a pas la capacité de lever l’impôt), j’ai proposé une méthode de travail nouvelle, en associant les Parlements nationaux aux réflexions et aux débats conduits au Parlement européen. Deux réunions de travail ont eu lieu sur ce sujet, dont celle du 8 mai. Une troisième est prévue le 21 juin. Parallèlement, je me suis rendu dans six capitales nationales pour un échange de vues sur place, et une autre demi-douzaine de Parlements nationaux ont tenu à apporter une contribution écrite.
Ces travaux sont entièrement publics, et la procédure complètement transparente. Tous les documents de travail et les comptes rendus des réunions sont disponibles sur le site du Parlement européen, comme sur mon site personnel. Les conclusions éventuelles ne pourront entrer en vigueur qu’avec l’accord de tous les gouvernements de l’Union et la ratification de tous les Parlements nationaux. Notre objectif est d’être prêts pour le rendez-vous prévu par les gouvernements en 2008 : à cette date, l’ensemble du système du budget européen, tant du côté des recettes que de celui des dépenses, devra être remis à plat. La Commission européenne a été invitée à faire des propositions nouvelles, en s’inspirant des propositions qui pourront être faites, d’ici là, par les Parlements nationaux et européen.
A ce stade, trois pistes ont été évoquées par les participants et font l’objet d’études plus approfondies : le maintien du système actuel, fondé sur des contributions des budgets nationaux, en le rendant plus juste, plus simple et plus transparent ; l’affectation directe à l’Union d’impôts nationaux existants ; l’affectation à l’Union d’impôts destinés à accompagner des politiques communautaires, notamment dans le domaine de l’environnement (du type écotax).
Pour rassurer pleinement les citoyens-contribuables, j’ai proposé deux principes de départ. Principe de souveraineté : la souveraineté fiscale doit demeurer au niveau des Etats membres. Et principe de neutralité : toutes choses égales par ailleurs, le transfert d’une charge, ou d’une taxe, des Etats vers l’Union ne doit en aucun cas aboutir à aggraver la pression fiscale totale. L’Europe se bâtit à coût constant.
2 – En marge de cet exercice, je me suis interrogé, à titre personnel, sur l’évolution à long terme de la fiscalité, non pas européenne, mais nationale et internationale.
Chaque époque historique, chaque étape du développement économique, a eu son système fiscal, correspondant aux moyens techniques et aux choix politiques du moment. Taxes foncières quand toute la richesse paraissait reposer sur la terre, droits de circulation, formules variées de capitation, puis, avec l’avènement de la démocratie et de « l’Etat providence », impôt progressif sur le revenu et TVA. Or, en ce début du XXIe siècle, dans la plupart de nos Etats, les systèmes fiscaux apparaissent à la fois comme trop lourds, infiniment trop complexes, pénalisant l’investissement et la création d’emplois, et très mal adaptés à un monde caractérisé désormais par l’extrême mobilité du capital, de l’information, des usines, de la main d’œuvre et des talents.
D’où la question : une économie reposant largement sur des services dématérialisés et mondialisés peut-elle continuer de recourir exclusivement à des méthodes de financement des politiques d’intérêt général qui ont été conçues au temps du charbon, de l’acier et du protectionnisme triomphant ? Une économie désormais caractérisée par une explosion d’échanges créateurs de valeur dans un cadre ignorant les frontières nationales peut-elle générer des ressources fiscales susceptibles de réduire, en contrepartie, ceux des impôts actuels qui pénalisent l’investissement et l’emploi ?
Cette interrogation n’a rien de nouveau : elle a inspiré depuis une vingtaine d’années les réflexions faites autour des idées de James Tobin. Celles-ci portaient surtout sur les échanges de capitaux. Plusieurs pays ont mis en œuvre un prélèvement sur les transports aériens, ou sur les transports routiers de marchandises. D’autres s’intéressent aux transactions sur les droits d’émission de CO2. Les centaines de nouveaux services apportés par la révolution des technologies de la communication peuvent-ils participer à cette démarche, et comment ? Poser la question n’a rien de scandaleux : au contraire, il y aurait scandale si on refusait par principe de se poser de telles questions ou, naturellement, si l’on y apportait de mauvaises réponses. Mais ce dernier risque est faible, pour ne pas dire nul : toute innovation dans ce domaine exigera un consensus au niveau planétaire.
Dans l’immédiat, j’y insiste, de telles idées ne sont pas sur la table de nos travaux européens. Elles ne sont pas mentionnées dans les commandes que nous avons passées aux experts qui travaillent pour nous. Les internautes qui se sont émus au vu de comptes rendus de presse allusifs ou partiels peuvent donc être rassurés. Ils peuvent aussi mettre leur compétence et leur créativité personnelles au service de la recherche de l’utilisation intelligente des outils techniques du XXIe siècle pour répondre aux formidables besoins de solidarité planétaire de notre temps.
Alain Lamassoure, le 30 mai 2006.