Un Parlement à l’écoute du Peuple
Les Français n’ont jamais eu d’estime pour l’institution parlementaire. Les vociférations des questions d’actualité et les travées vides des séances législatives leur paraissent, au mieux, un mal nécessaire, une concession archaïque au rite démocratique. Le seul pouvoir, celui qui fascine, celui autour duquel s’oriente tout le débat politique, l’enjeu des enjeux, c’est le pouvoir exécutif, incarné, au sommet, par le monarque républicain de l’Elysée et, à la base, par la figure tutélaire du maire. Les assemblées paraissent inutilement querelleuses et bavardes. Elles représentent la « classe politique », pas le citoyen. Pour les Français, le vrai débat politique, c’est celui qui oppose périodiquement le Pouvoir à la rue devant les caméras de télévision. L’avenir n’appartiendrait-il pas à la démocratie directe, à travers l’usage du référendum national ou local, les sondages quasi-quotidiens et, désormais, les formidables capacités d’échanges d’idées sur Internet et la profusion des blogs ?
Je ne le crois pas. L’expérience montre que les techniques de la démocratie directe, tout comme l’aspiration à une « démocratie participative », ne constituent un vrai progrès qu’en complément de la démocratie représentative. Les sociétés complexes d’aujourd’hui ne peuvent plus prétendre être gouvernées par un monarque omniscient qui aurait le monopole d’inspiration du Saint Esprit ou des meilleurs experts. Quant à la démocratie participative, elle est trop facilement confisquée par des lobbies d’intérêts particuliers, des associations faussement apolitiques, et des professionnels de la manipulation politique, rompus à l’art de dissimuler leur absence de représentativité derrière la noblesse apparente de la cause : l’usage d’Internet par les anti-mondialistes lors de la campagne référendaire montre que la Toile se prête admirablement au savoir-faire de la bonne vieille agit-prop de l’ultra-gauche, comme c’est le cas ailleurs pour le sectarisme religieux.
A ce jeu, c’est le sentiment de la communauté, locale ou nationale, qui se dissout peu à peu. Une ville n’est pas la simple addition de quartiers différents, de salariés, de commerçants et de clients, de résidents permanents et secondaires, de locataires et de propriétaires, de juniors bruyants et de seniors avides de silence, c’est une communauté de vie quotidienne. Une nation n’est pas l’addition de producteurs et de consommateurs, de contribuables et d’assistés, de riches et de pauvres, d’inventeurs créatifs et de défenseurs de l’environnement, de chrétiens, de laïcs et de musulmans, d’extrémistes et de modérés, de syndicalistes et de fonctionnaires, c’est une communauté de destin. Les préoccupations, les aspirations, les projets, les interrogations, les craintes des uns et des autres doivent pouvoir s’exprimer librement (d’où l’intérêt des réunions, concertations, blogs etc.), mais elles doivent aussi passer par le tamis d’une assemblée élue, démocratique, authentiquement représentative, habilitée à débattre, à peser, à pondérer, à relativiser, à arbitrer. Et qui, le moment venu, aura à rendre compte devant tous les citoyens – et pas seulement les plus bruyants – des choix qui auront été faits au nom de l’intérêt commun.
Cette culture du débat, de la recherche du compromis, de la politique conçue comme l’art de vivre ensemble et non pas comme un substitut à la guerre civile, ou à la guerre entre le Bien et le Mal incarnés par des camps différents au sein de la même société, n’est guère la nôtre. Plus familière aux démocraties apaisées qui participent avec nous à l’Union européenne, elle est fondamentalement celle du Parlement européen. Les sectaires le déploreront, mais tous les démocrates s’en réjouiront : l’assemblée de Strasbourg montre qu’elle sait être à l’écoute des citoyens, de « l’Europe profonde » comme on dit de la « France profonde », et pas seulement des gouvernements d’un côté, et, de l’autre, des démagogues de tous bords.
Il y a un mois, elle l’a montré en réécrivant entièrement la directive sur la libre circulation des services : j’ai rendu compte de la manière dont le nouveau texte avait été adopté par une très large majorité de centre-droit et de gauche, à la satisfaction des syndicats.
Cette semaine, elle a pris en compte d’autres préoccupations qui s’étaient exprimées pendant la campagne référendaire, en France comme aux Pays-Bas.
– Les délocalisations. Investir à l’étranger n’est pas condamnable, au contraire : c’est la condition de conquête de débouchés nouveaux et, souvent, de la création d’emplois nouveaux. Il n’en va pas de même du déménagement d’ateliers pour profiter d’un coût du travail plus faible ailleurs. Le Parlement a demandé le remboursement pur et simple des aides publiques accordées à des entreprises qui ferment un établissement ou le délocalisent dans les sept années suivantes. Et il s’est prononcé en faveur de la création d’un Fonds d’adaptation à la mondialisation : doté de 500 millions d’euro, ce Fonds permettra d’aider les travailleurs touchés par les restructurations rendues nécessaires par la mondialisation.
– La défense de l’identité européenne. D’abord par les productions de nos régions. La reconnaissance des indications géographiques est acquise depuis longtemps au niveau européen. Mais ces indications ne sont pas protégées au-delà de l’Union. Voilà que les Colombiens trouvent intérêt à défendre le « café de Colombie », et les thaïlandais le riz du Siam. Le Parlement invite les représentants de l’Union à faire de la reconnaissance mondiale des indications géographiques l’un de nos objectifs majeurs dans les négociations de l’OMC.
Enfin et surtout, définir l’identité de l’Europe, c’est lui donner des frontières. Le débat sur les limites ultimes de l’Union européenne n’avait jamais eu lieu dans les instances communautaires ou nationales. On sait la part que l’inquiétude sur une Europe sans frontières a joué dans la victoire du « non » à la Constitution, en France comme aux Pays-Bas. Le Parlement européen a demandé à la Commission de proposer avant la fin de l’année des critères sur les frontières ultimes de l’Union et sur sa capacité d’absorption de nouveaux membres. Il y a un an, une large majorité de l’assemblée de Strasbourg refusait encore d’aborder le problème. Le 16 mars, 9 eurodéputés sur 10 ont décidé d’ouvrir ce dossier essentiel. Allons, la démocratie et l’Europe ont encore de beaux jours devant elles, si les élus continuent d’être à l’écoute des citoyens !
Alain Lamassoure, le 18 mars 2006