Directive services : une victoire de la démocratie européenne


Le vote intervenu le 16 février au Parlement européen sur la directive services est une bonne nouvelle pour l’Europe et pour la France.


Adopté à Strasbourg par 394 voix contre 215, ce texte correspond fidèlement à notre conception de l’économie et de l’Europe : pas de prospérité sans un grand marché efficace ; mais la concurrence doit se réaliser entre les acteurs économiques, et non pas entre les systèmes sociaux. Elle doit aussi respecter les identités nationales.


. Un enjeu économique majeur :


Des 25 pays de l’Union, la France est celui qui a le plus à gagner en termes de débouchés et d’emplois : elle est le 2ème exportateur mondial de services. Or, les services représentent désormais 70% de la richesse produite, et 100% des emplois nets créés.


Pourtant, après cinquante ans de Marché commun, dans beaucoup d’activités de service, l’espace européen reste cloisonné par d’innombrables barrières bureaucratiques. Une loi chypriote de 2004 interdit de fait aux étrangers de s’installer comme agents immobiliers, tout comme c’est le cas en Autriche pour les moniteurs de ski et les dentistes, en Grèce pour les guides du Parthénon ou les moniteurs de plongée, en Italie pour les conseillers en propriété industrielle, en Allemagne pour la vente par correspondance etc.


C’est en 2000, à Lisbonne, que le Conseil européen a demandé à la Commission Prodi de proposer une stratégie pour faire sauter ces barrières. Rappelons qu’en France le Premier Ministre s’appelait Lionel Jospin et que son gouvernement comprenait la communiste Marie-Georges Buffet, l’écologiste Dominique Voynet, le souverainiste de gauche Jean-Pierre Chevènement, et que Laurent Fabius allait le rejoindre trois jours plus tard : l’initiative n’avait rien d’ultra-libéral. Le Commissaire en charge, M. Bolkestein, a proposé une arme absolue : permettre à tout prestataire de service, individu ou entreprise, de s’établir dans le pays de son choix pour offrir ses services dans toute l’Union, en étant soumis à toutes les règles (fiscales, sociales, techniques, déontologiques, qualité, environnement etc.) du pays d’implantation. C’était le fameux « principe du pays d’origine ». Erigée en principe universel sans tenir compte de l’immense variété des activités concernées, cette référence a suscité une levée de boucliers. Tant en France qu’aux Pays-Bas, la campagne référendaire a été l’occasion d’exprimer des craintes légitimes. Le Parlement européen les a entendues.


Après un an de travail, le Parlement de Strasbourg a entièrement réécrit le projet de directive. Il en a changé la philosophie. Le « principe du pays d’origine » est abandonné. Il est remplacé par le principe de la liberté d’établissement et de prestation de services, chaque professionnel devant respecter les lois du pays où le service est fourni. Chaque pays reste donc libre de réglementer les activités de service exercées sur son sol, pour des motifs tenant à l’ordre public, à la sécurité publique, à la protection de la santé, à la protection de l’environnement, à l’équilibre financier de la sécurité sociale. Mais désormais, on ne pourra plus imposer à des ressortissants européens des règles qui ne s’appliquent pas aux professionnels nationaux.


. Tous les acquis sociaux préservés :


D’autre part, et surtout toutes les précautions sont prises pour éviter une concurrence entre systèmes sociaux, qui pourrait conduire au « dumping social ». La directive exclut expressément :


– La totalité du droit du travail. Le détachement de travailleurs (par exemple par une entreprise de travaux publics ayant son siège à Varsovie) reste régi par une directive de 1996, en vertu de laquelle le droit français s’applique aux salariés employés sur des chantiers français, pour ce qui concerne le salaire minimum, comme la durée maximale du travail ou la durée minimale des congés. Pour éviter les détournements que l’on constate aujourd’hui dans la loi actuelle, la directive prévoit une coordination beaucoup plus efficace des administrations nationales des pays concernés.


– L’activité des agences de travail intérimaire, dont il est prévu que la liberté de prestation s’appliquera seulement une fois que le droit européen aura été harmonisé dans ce secteur sensible.


– Les services publics considérés comme non marchands : éducation, santé, services audiovisuels.


– Les services publics marchands déjà couverts par d’autres lois européennes : transport, énergie, télécommunications, postes.


Enfin, précaution supplémentaire, il est prévu une clause de révision au bout de cinq ans pour tenir compte des effets concrets de la directive.


L’importance de la majorité qui s’est dégagée au sein du Parlement européen est la meilleure garantie de voir ses dispositions reprises maintenant par la Commission européenne, puis par le Conseil des Ministres. Deux députés sur trois, c’est plus que la majorité qualifiée juridiquement nécessaire, et cette majorité comprend toute la droite non souverainiste, le centre, et tous les socialistes européens à la seule exception du PS français.


. L’isolement pathétique de la gauche française :


Ce vote sur un sujet aussi symbolique, huit mois après le 29 mai, aura été une heure de vérité pour toutes les formations politiques.


D’un côté, il y a tous ceux, à droite et à gauche, qui sont prêts à travailler ensemble pour relancer l’Europe. L’UMP en fait partie et entend y jouer un rôle moteur : le jour même de ce vote, à Berlin, Nicolas Sarkozy et l’état-major de l’UMP rencontraient Angela Merkel et leurs homologues de la CDU pour préparer l’avenir ensemble. De l’autre côté, il y a ceux qui s’enferment dans leurs œillères idéologiques ou nationalistes.


Sans doute n’était-il pas trop difficile pour les socialistes et les chrétiens démocrates allemands, qui partagent désormais le pouvoir à Berlin, de s’associer autour de ce compromis. Mais il est impressionnant de constater que, dans les autres pays, il en a été de même pour des partis plus habitués à l’affrontement permanent au niveau national. Les conservateurs britanniques n’ont pas eu honte de voter avec les travaillistes, tout comme le Partido Popular, le PSOE espagnol et le PNV ont su joindre leur vote à Strasbourg, malgré la virulence du débat actuel à Madrid. La gauche et la droite portugaises, qui viennent pourtant d’en découdre à l’élection présidentielle, s’y sont retrouvées aussi bien que les ennemis jurés de Berlusconi avec les députés de Forza Italia, et cela en pleine campagne électorale italienne ! Hors du Parlement, ce compromis a reçu le soutien remarqué du Président de la Confédération européenne des syndicats, celui du N°1 de la CFDT, ainsi que, par exemple, de l’association Eurocinéma, heureuse de la sauvegarde de l’identité culturelle.


A cette alliance, le PS français a préféré refuser de se joindre pour privilégier le camp du « non » – à l’exception méritoire de Michel Rocard et de Gilles savary. Rejetant la famille socialiste européenne, le PS se sent finalement plus à l’aise avec la gauche communiste ou ex-communiste, l’extrême droite de Le Pen, les souverainistes de de Villiers, les néo-fascistes italiens, les idéologues du libéralisme, fils spirituels de M. Bolkestein, et, hors du Parlement la représentation officielle du patronat européen : l’UNICE, présidée par le Français Ernest-Antoine Seillière, a publié un communiqué incendiaire sous le titre « ce n’est pas la directive dont l’Europe a besoin. » Quand l’Europe repart de l’avant, avec toutes les forces socialistes d’Europe, la gauche française s’unit : en arrière toute !


Alain Lamassoure, le 17 février 2006.