L’Europe sociale
L’UNION EUROPEENNE A DEJA PERMIS DES AVANCEES SOCIALES :
Le « marché commun » a créé l’Europe des consommateurs au profit des bas revenus.
La diabolisation que certains veulent faire du « marché commun », assimilé aux horreurs de l’ultra-libéralisme, oublie tout simplement le caractère fondamentalement social d’une politique profitant aux consommateurs, donc aux bas revenus, plutôt qu’aux épargnants et aux revenus aisés. Ce n’est pas un hasard si, depuis 1957, tous les traités européens en cours ont été négociés et signés au nom de la France par des gouvernements socialistes !
La même remarque vaut pour l’ouverture des services publics à la concurrence : l’objectif recherché était et demeure un meilleur service du public, et notamment de ceux qui n’auraient pas les moyens d’accéder aux services essentiels, soit parce qu’ils sont pauvres, soit parce qu’ils ne sont pas assez nombreux (zones rurales). Le texte-clef est le traité sur l’Espace unique de 1986, conçu par Jacques Delors, voulu par Mitterrand et négocié par Laurent Fabius Premier Ministre. Il ouvre à la concurrence et au libre-échange au sens du Marché commun les trois secteurs des transports, de l’énergie et des communications et, qui plus est, en établissant le vote à la majorité qualifiée dans ces domaines. A partir de là, tous les textes de base de la libération de ces secteurs ont été adoptés avec le soutien des gouvernements français de gauche : les télécoms en 1988, les transports en 1991, le gaz en 1998, la poste en 1998. Le premier paquet de directives ouvrant le transport ferroviaire a été adopté en 2000 avec l’accord du Ministre communiste des Transports (Gayssot) du gouvernement Jospin !
Dans certains domaines, l’Europe était en avance sur la France, et nous a permis d’accélérer chez nous le progrès social.
. L’égalité des femmes et des hommes au travail. L’Europe a eu ici vingt ans d’avance sur la France.
– Le principe « à travail égal, salaire égal » a été posé dès le 10 février 1975. Une demi-douzaine de directives ont suivi, dont la France n’a achevé la transposition en droit interne qu’en avril 2005 pour ce qui concerne les conditions d’accès des femmes à la fonction publique !
– Une directive de 2002 a rendu obligatoire dans toute l’Union le droit au retour à l’emploi après un congé de maternité ou un congé parental (y compris pour le père), dans un emploi équivalent, sans modification des conditions de travail.
– Depuis une directive de 1997, quand une femme se plaint d’une discrimination dans son travail, la charge de la preuve incombe désormais au défendeur. La Cour de Cassation a admis la pleine application du principe dans le droit français : une employée d’IBM-France à Montpellier a obtenu un rappel de salaires de 111 000 euros !
. Les handicapés.
La France avait eu une initiative pionnière par la loi de 1975. Mais c’est l’Union européenne qui a redonné une forte impulsion, en fournissant :
– Un lieu d’échanges permanents : le Forum européen des personnes handicapées, composé à parité d’ONG européennes spécialisées et de représentants nationaux (fonctionnaires et ONG nationales). Il a aidé à faire réaliser que l’Europe compte 37 M de handicapés : l’équivalent de la population de l’Espagne ! et le taux d’activité des adultes handicapés est deux fois inférieur à la moyenne (à peine un peu plus de un sur trois).
– Un cadre juridique. Deux directives de 2000 contre toutes les formes de discrimination en matière d’emploi. Elles couvrent tous les aspects : formation, recrutement, conditions de travail, salaires etc. Y compris la « discrimination positive » en faveur des handicapés. Ces directives ont été transposées dans la loi de modernisation sociale de janvier 2002 et la loi du 11 février 2005 sur l’égalité des chances des personnes handicapées : merci l’Europe !
– De l’argent : le programme européen Equal a financé en France 230 projets pilotes d’insertion des handicapés pour un total de 150 M euros.
. La Constitution ajoutera :
– La volonté d’insertion des handicapés dans tous les aspects de la vie sociale (art.86).
– L’obligation générale de prendre en compte la lutte contre toutes les formes de discrimination dans toutes les politiques de l’Union (art.118).
L’Union européenne est intervenue sur les « nouveaux sujets sociaux » créés par le progrès technique ou par le marché unique lui-même.
. La « circulation » des droits sociaux. Ce sont des règlements de 1971 et 72 qui fixent les principes de la libre circulation des travailleurs en la matière. Autour de 4 principes.
– égalité de traitement qui accorde aux salariés et aux non salariés des Etats membres les mêmes droits qu’aux citoyens de l’Etat compétent;
– totalisation des périodes : l’Etat membre compétent est tenu de prendre en compte les périodes d’assurance et d’emploi couvertes par la législation d’un autre Etat membre;
– en contrepartie, interdiction du paiement double qui permettrait à des petits malins de doubler les avantages sociaux en circulant dans l’Union.
– droit d’emporter son assurance sociale dans d’autres Etats membres de l’Union.
. Le Comité d’entreprise européen. C’est une directive de 1994, qui a instauré un droit d’information et de consultation des travailleurs, repris depuis dans les articles 87 et 88 de laConstitution, et un Comité d’entreprise pour les entreprises ou groupes de dimension communautaire (= entreprises de 1 000 travailleurs dans au moins deux Etats membres, avec au moins 150 travailleurs dans chacun d’eux).
L’initiative de la création du Comité d’entreprise européen peut venir de la direction ou des salariés eux-mêmes (100 travailleurs relevant au moins de 2 établissements de 2 pays différents).
Les partenaires sociaux ont joué un rôle-clef dans la mise au point de cette législation. Au bout de dix ans, le résultat d’ensemble est très positif : 650 multinationales européennes représentant 11 millions de travailleurs sont concernées.
Ainsi, en avril 2004 la direction et les syndicats de France Télécom se sont mis d’accord pour créer un Comité de groupe européen. 200 000 salariés, dont 66 000 hors de France, notamment en UK (Orange) et Pologne ! 30 membres, représentant 18 pays, dont 9 Français.
Au même moment, c’est le Comité de groupe européen d’Alstom qui a présenté à Nicolas Sarkozy un premier projet alternatif de redressement financier du groupe.
. Le télétravail. La loi française en cours d’élaboration s’inspire d’une directive européenne.
. La sécurité des travailleurs à l’égard des nouvelles technologies.
– La protection des travailleurs contre le bruit. Le plafond toléré d’exposition quotidienne au bruit sera réduit à 87 décibels (au lieu de 90) au 1er janvier prochain. En revanche, en application du principe de subsidiarité, les Etats membres retrouvent le pouvoir de réglementer le cas particulier de la musique et du divertissement.
– Les champs électromagnétiques. Problème posé par la multiplication des sources d’émissions radio.
– Les vibrations mécaniques, texte qui intéresse les mineurs et les travailleurs du bâtiment.
Dans les autres domaines, le droit européen assure un filet de sécurité qui évite le dumping social.
. En établissant des règles sur les conditions de travail, telle la durée maximum de celui-ci (les 48h), ou les conditions de travail des travailleurs intérimaires : a été imposé le principe de la non-discrimination entre l’intérimaire et le travailleur comparable de l’entreprise « utilisatrice », à partir de 6 semaines de présence dans l’entreprise (pour la rémunération, mais aussi la durée du travail, les congés etc.)
. En posant le principe que chaque Etat peut conserver ou établir des normes sociales plus généreuses (art.210-5). C’est un point fondamental : en aucun cas une loi européenne ne peut contraindre un Etat à réduire les avantages sociaux accordés par une loi nationale.
Enfin, n’oublions pas les heureux effets de la politique régionale, qui a permis aux régions pauvres de rattraper le niveau moyen de l’Union : 42% du territoire français a bénéficié des aides du FEDER qui, sur les douze dernières années a financé un tiers de l’ensemble des contrats de Plan Etat-régions !
LES « PLUS » DE LA CONSTITUTION EN MATIERE SOCIALE :
Le marché et la monnaie ne sont plus les objectifs ultimes de l’Union, ils deviennent des instruments au service des objectifs politiques, comprenant tous les objectifs sociaux nouveaux énumérés à l’article 3 : économie sociale de marché qui tend au plein emploi et au progrès social, non-discrimination, égalité entre femmes et hommes, lutte contre l’exclusion sociale, commerce équitable.
Les articles 116 et 117 obligent même à prendre en compte ces objectifs dans toutes les politiques de l’Union. Y compris la politique monétaire, comme le précise l’article 185.
Les premiers bénéficiaires seront les femmes et les publics fragiles, pris en compte dans la Charte des droits fondamentaux : enfants, personnes âgés, handicapés, victimes de discrimination ou de l’exclusion.
La coordination des politiques économiques, sociales et de l’emploi des Etats membres (art.15) sera sensiblement améliorée par la création du Président du Conseil européen, celle d’un « M. Euro », et par la réforme du Conseil. Ainsi la « Stratégie de Lisbonne », qui prévoit de faire passer le taux d’emploi global de 65% à 70% en 2010, pourra-t-elle enfin entrer dans la réalité des politiques nationales, au lieu de demeurer un sujet de discours à Bruxelles.
La reconnaissance du rôle des partenaires sociaux, avec l’institutionnalisation du Sommet social tripartite (art. 48) et les procédures de « conventions collectives européennes » des art. 211 et 212.
Sur les services publics, non seulement le modèle français est officiellement reconnu et protégé, mais est introduite la possibilité nouvelle de « services publics européens ». En effet,
– « L’Union reconnaît l’accès aux services d’intérêt économique général, tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationale » (art. 96).
– « Les entreprises chargées de la gestion d’un service d’intérêt économique général ne sont soumises aux règles de la concurrence que dans la mesure où celles-ci ne font pas échec à la mission qui leur a été impartie » (art. 166).
– Une loi européenne pourra « établir les principes et fixer les conditions » d’un service public de taille européenne (art. 122). En effet, à partir du moment où l’espace de vie commune est le continent, pourquoi les réseaux ferrés, électriques ou gaziers, par exemple, ou le contrôle de la navigation aérienne, ne relèveraient-ils pas d’un service public européen au lieu de dépendre de 27 services nationaux cloisonnés ?
Noter que, depuis l’origine, en 1957, il est entendu que l’expression « service d’intérêt général » est admise dans toutes les langues européennes pour traduire ce que les Français appellent « service public » (à cause de l’ambiguïté de l’adjectif « public » qui, en anglais, peut signifier « privé », comme dans les fameuses public schools). Si l’Union européenne ne s’intéresse qu’aux services d’intérêt économique général, c’est parce que les autres (services sociaux, éducation, santé etc.) relèvent entièrement du droit national : l’Europe n’a pas à s’en mêler.
Alain LAMASSOURE, le 9 mai 2005.