Une nouvelle méthode pour un nouveau projet européen


Le silence. Après des mois de passion intense, depuis le 29 mai, en France l’Europe ne suscitait plus que le silence. Silence des partisans du « oui », assommés par leur échec. Silence plus inattendu des vainqueurs du « non », peu désireux de reconnaître que, décidément, il n’y avait pas de « plan B ». Silence des observateurs et des médias, finalement heureux de revenir aux délices de la politique hexagonale.


Le week-end dernier, l’UMP a brisé ce silence. Le parti qui était en première ligne pour défendre la Constitution, aurait pu, aurait dû, être le plus affaibli par l’échec. Il n’en est rien. Ayant su gérer son opposition interne, il en sort uni, là où les socialistes ne cessent de se déchirer. Dimanche après dimanche, les élections partielles confirment sa remarquable vitalité. Et sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, il est le premier parti politique d’Europe ayant osé relancer le débat européen après la crise majeure du printemps dernier. Tel était l’objet de la convention organisée à la Mutualité à Paris, avec la participation de nombreuses personnalités venues de toute l’Europe. Qu’en ressort-il ?


Au fond, les crises politiques et budgétaires du printemps montrent que l’Europe du XXIe siècle reste à inventer. Le 29 mai, ce n’est pas l’Europe qui a été rejetée par une majorité de Français. Au contraire, les Français ont exprimé un fort besoin d’Europe. Mais beaucoup n’aiment pas l’Europe actuelle, ou ils doutent d’elle.


Or, nous ne pouvons pas nous satisfaire de cet échec. Le monde ne nous attend pas. Et il y a plus grave : dans cette Europe en panne, à cause de la France, notre pays est affaibli. Il donnait un cap, lui-même n’en a plus, et voilà toute l’Europe privé de boussole. Nous avons besoin de remettre la France debout, de remettre l’Union européenne en marche, et de relancer le chantier de construction de ce qui sera l’Europe du XXIe siècle.


Nous avons donc besoin d’une nouvelle méthode. Car ce qui a échoué, c’est l’approche par le haut, consistant à soumettre directement au jugement des citoyens un projet de Constitution clefs en mains, sans véritable effort pédagogique et sans grand débat préalable sur la finalité, la nature, le contenu, les limites du projet européen.


Puisque l’approche institutionnelle n’a pas marché, il faut recommencer par le commencement logique : partir de l’identité de l’Europe, et de ce que nous attendons d’elle. Quelle Europe, et pour quoi faire ? C’est seulement ensuite que nous pourrons mener à bien un nouveau processus institutionnel.


L’identité, cela commence par la fixation de frontières. L’idée neuve, l’idée simple, l’idée populaire que nous devons apporter dans ce débat, c’est que la bonne question à se poser n’est pas « Quelles frontières pour l’Union européenne ? », mais : « Qui doit fixer les frontières de l’Union européenne ? » Et cela règle tout. Si l’on veut faire l’Europe des peuples, si l’on prétend y donner le pouvoir aux citoyens, la famille européenne ne doit plus être composée dans le secret des chancelleries mais sur la place publique. En modifiant sa propre Constitution nationale pour donner, en la matière, le dernier mot à ses citoyens, la France a déjà fait la moitié du chemin pour ce qui la concerne. Il reste à faire l’autre moitié : c’est-à-dire s’assurer du soutien populaire, non pas seulement après avoir négocié pendant dix ans avec un pays candidat, mais bel et bien avant les fiançailles. Là, cela doit être le rôle du Parlement. Posons le principe que la France n’acceptera l’ouverture de négociations d’adhésion avec un pays tiers qu’après un débat et un vote formel de son Parlement national.


Ensuite, que voulons-nous faire ensemble ? Nous devons nous donner quelques priorités politiques simples pour les années à venir. Si l’on veut réconcilier nos concitoyens avec l’Europe, il faut leur montrer que l’Union peut être efficace sur des sujets importants et facilement visibles par l’opinion – et leur donner envie d’une Europe qui sera encore plus efficace grâce à la Constitution. On peut donner quelques exemples.


– L’énergie. Le choc pétrolier rampant que nous subissons depuis 3 ans est plus pernicieux et plus grave que les chocs des années 70. Chacun en subit les effets dans sa vie quotidienne et familiale. Et chacun comprend que si, chaque pays européen réagit séparément, les uns en baissant les impôts les autres en les augmentant, les uns en relançant l’énergie nucléaire les autres en l’interdisant, les uns en économisant l’énergie les autres en la gaspillant, nous allons pénaliser nos économies et amputer inutilement notre pouvoir d’achat.


Proposons une réponse commune au défi énergétique dans toutes ses dimensions.


– L’immigration. Là aussi, chacun comprend que, dans un espace libéré des contrôles policiers systématiques aux frontières intérieures, on ne peut plus laisser chaque pays décider tout seul de sa politique migratoire. Nos amis espagnols ont décidé unilatéralement de régulariser 700 000 clandestins sans la moindre concertation avec leurs partenaires. En ce moment même, le petit Luxembourg négocie sur le sujet avec le puissant Nigéria. « L’immigration choisie et non pas subie » est un slogan que toute l’Union peut partager et que nous devons proposer de mettre en œuvre dans le cadre européen.


– La sécurité. Un des plus grands inconvénients du rejet de la Constitution, c’est que l’essentiel de la politique de sécurité et de la lutte anti-terroriste continue de se décider à l’unanimité ! Certains de nos partenaires, et non des moindres, n’ont même pas introduit le crime terroriste dans leur Code pénal ! L’urgence est ici extrême. Proposons que la clause de solidarité mutuelle sans limite dans la lutte anti-terroriste, prévue par l’article 43 du projet de Constitution, donne lieu à un traité particulier soumis à ratification parlementaire. De manière à donner une base juridique plus efficace.


Dans le même temps, est-ce trop demander à nos gouvernants de ne pas recommencer à faire de la pédagogie anti-européenne ? C’est-à-dire de s’attribuer le mérite d’initiatives populaires qui ne peuvent être prises efficacement qu’au niveau européen, et réciproquement, de renvoyer ce qui dérange au bouc émissaire de Bruxelles. Une série d’accidents d’avions ? La France établit sa propre liste noire de compagnies aériennes, alors que, comme le recommandait le bon sens, la compétence juridique revient à l’Union, qui s’était justement dotée d’une Agence de la Sécurité aérienne. Une menace d’OPA sur un grand groupe alimentaire ? La France annonce une nouvelle législation nationale, avant de réaliser qu’il existe une loi européenne toute chaude qu’il suffirait de transposer chez nous comme l’ont fait nos partenaires. Hewlett-Packard licencie des salariés ? Cette fois, c’est vers la Commission européenne que la France se tourne, alors que celle-ci ne dispose d’aucun pouvoir en la matière, comme son Président l’a rappelé sèchement.


Ces préalables acquis, mais seulement alors, on pourra relancer la démarche institutionnelle. Au travail !


Alain Lamassoure, le 26 septembre 2005.