«Nous sommes contraints d’avoir une politique d’asile commune »: interview publiée dans « L’Opinion », le 15 septembre 2015

 

 


Comprenez-vous le revirement de l’Allemagne puis de l’Autriche, qui viennent de rétablir les contrôles aux frontières ?

 

Le flot de migrants, qui n’a cessé de s’accroître depuis le début de la guerre en Syrie, a pris des proportions d’exode. Tous les Etats membres sont complètement désemparés. C’est une atmosphère de panique. Certains ont même perdu le bon sens, donc des mesures s’imposent. N’oublions jamais que tout cela est prévu par les accords de Schengen. A situation d’urgence, mesures d’urgence !

 


Tout de même, est-ce-que cela ne signe pas la fin de l’espace Schengen, tel qu’il existe aujourd’hui ?

 

Sur ce qu’on appelle l’espace Schengen, ce qui est en jeu c’est la libre circulation entre les pays d’Europe, qu’ils soient dans Schengen ou hors Schengen, comme pour le Royaume Uni. Le Royaume-Uni, qui n’est pas dans Schengen, a exactement les mêmes problèmes que nous. Nous savions depuis 1993, date de suppression des contrôles à nos frontières intérieures, qu’il faudrait renforcer les contrôles aux frontières extérieures et les européaniser. Tant que nous aurons des Grecs ou des Bulgares pour garder leurs frontières face à la Turquie, évidemment il y aura des doutes sur la capacité et l’efficacité du contrôle. De surcroît, nous savons que pour être efficaces, nous devons avoir les mêmes règles d’un pays à l’autre sur les conditions d’accueil des demandeurs d’asile ou des migrants économiques, sur les conditions d’entrée, de circulation, de séjour et de travail. Malheureusement, c’est sous la pression que nos gouvernants s’en rendent compte…

 


Et face à l’urgence, une nouvelle fois, les positions sont très antagonistes au sein même des pays de l’espace Schengen ?

 

Une chose est claire : de même qu’on s’est rendu compte que la Grèce ne sortirait jamais de la zone euro, on vérifie maintenant qu’aucun pays ne peut sortir de la libre circulation. Ce n’est pas possible. Certes, on s’en rend compte dans la douleur mais cela veut dire que, face à une crise d’ampleur de réfugiés, nous sommes contraints d’avoir une politique d’asile commune et donc de répartir les arrivants entre partenaires, sous la pression de la réalité. Deuxième constat : si l’on veut être efficace, il ne faut pas se contenter d’agir sur les effets au moment où ces migrants arrivent en Europe. Il faut agir sur les causes dans les pays d’origine, dans les pays de transit.

 


Cela veut-il dire une véritable révolution dans la diplomatie des Vingt-Huit et dans notre politique d’aide au développement ?

 

Oui. Jusqu’à présent, l’enjeu migratoire n’était quasiment pas pris en compte, il faut le faire monter très haut dans nos priorités, vis-à-vis notamment des pays africains et du Moyen-Orient. Enfin le message d’Angela Merkel, entendu hors d’Europe, nous oblige à ouvrir un autre volet dont personne n’a parlé jusqu’à présent et dont, je le répète, on sait qu’il faut le traiter depuis la naissance de Schengen : celui d’avoir enfin une politique migratoire dont les grandes lignes, les orientations et les montants soient définis à l’échelle européenne. Chaque pays a tendance à traiter ces problèmes chez lui pour donner l’impression qu’il est maître de la situation avec sa propre politique. Cela fait plus de vingt ans que nous différons la mise en place d’une politique commune. Cette période-là est finie !