“L’Europe pour les nuls”, article paru dans “Sud Ouest”, le 15 décembre 2013

ÉLECTIONS Plutôt que de privilégier les députés sortants qui travaillent, PS et UMP recasent battus et apparatchiks

Une fois encore, les principaux partis politiques s’apprêtent à passer les élections européennes par-dessus la jambe. Une fois de plus, ils y voient le moyen de caser quelques apparatchiks ou de recaser des députés français battus aux dernières élections législatives. Et tant pis pour les députés européens qui ont pris leur travail au sérieux, tant pis pour l’Europe, tant pis pour la place de la France en Europe et au Parlement européen. Lequel – on l’oublie trop souvent – bénéficie de plus grands pouvoirs et d’une plus vaste autonomie que notre Assemblée nationale.

La façon dont se dessinent les listes du PS et de l’UMP dans les huit circonscriptions européennes de notre pays est tristement éloquente. Un député européen sortant a-t-il fait son travail et jouit-il d’un certain prestige au sein du Parlement de Bruxelles et de Strasbourg ? Vite, il faut le remettre à sa place, la seconde dans le meilleur des cas, voire plus loin encore, quitte à compromettre sa réélection.

Ainsi l’UMP Jean-Paul Gauzès pourrait-il ne pas retrouver sa place dans la région nord, de même que son collègue Michel Dantin, pourtant spécialiste des questions agricoles, dans le Grand Sud-Est. Expert reconnu des questions de défense et de sécurité, Arnaud Danjean devra quant à lui céder la première place dans la région est à Nadine Morano. Ainsi en aurait décidé, si l’on en croit le journal ” L’Opinion ” du 10 décembre… Nicolas Sarkozy, dont on ignorait qu’il fût secrétaire national de l’UMP aux élections.

Le même sort guette, dans le Grand Sud-Ouest, Alain Lamassoure, qui devra peut-être laisser la tête de liste à Michèle Alliot-Marie, laquelle pourrait par ailleurs se présenter à la mairie de Neuilly, avec la bénédiction de… Nicolas Sarkozy.

Les mauvaises manières

Alain Lamassoure, qui est pourtant l’un des meilleurs spécialistes en France de la question européenne et qui est le seul Français à présider une commission (celle du Budget), a l’habitude des mauvaises manières. En 2009 déjà, il lui avait fallu se contenter de la troisième place, sur ordre de… Nicolas Sarkozy ; il n’avait dû son salut électoral qu’au très mauvais score du PS cette année-là.

Côté socialiste, justement, ce n’est pas plus brillant. Auteur d’un rapport très attendu sur la Troïka (BCE, FMI, Commission européenne) qui surveille notamment les finances de la Grèce, le député sortant Liêm Hoang-Ngoc a été débarqué lors de la convention du PS début décembre. Idem pour la présidente de la commission des Affaires juridiques et de l’intergroupe ” service public “, Françoise Castex. Leur tort ? Ne pas avoir été suffisamment défendus par leurs courants respectifs, qui avaient du plus beau monde à recaser.

Pour les apparatchiks, en effet, pas de problème : une place au chaud les attend au Parlement européen avec les émoluments et menus avantages qui vont bien avec. Harlem Désir prendra ainsi de nouveau la tête de liste en Île-de-France. Il n’a pourtant pas spécialement brillé à Bruxelles ou à Strasbourg, puisqu’il figure parmi les 50 plus grands absentéistes en séance plénière. Mais il faut bien offrir un lot de consolation à celui qui sait ses jours comptés à la direction du PS.

À l’UMP, Jean-François Copé a décidé de propulser son directeur de cabinet, Jérôme Lavrilleux, à la tête de la liste dans la région nord. Il faut aussi recaser les battus de 2012 : outre Mmes Morano et Alliot-Marie déjà mentionnées, les anciens ministres Renaud Muselier – dont Jean-Claude Gaudin ne veut plus à Marseille – ou Marie-Anne Montchamp.

La révolte gronde

Mais la révolte gronde. Début novembre, sept députés UMP avaient signé une pétition, baptisée ” la consolante “, en référence aux petites finales des tournois de pétanque… Et, dans ” Le Monde ” daté du 12 décembre, Bernard Accoyer a fustigé ” des décisions de nature à agir contre les intérêts du pays “.

” Il faut élire des députés expérimentés et les laisser en place suffisamment longtemps pour qu’ils servent efficacement la France, comme le font tous les autres pays membres “, plaide l’ancien président de l’Assemblée nationale. Au PS, le député européen (et girondin) sortant Gilles Savary n’est pas en reste. ” La France n’a pas de stratégie parlementaire et, au final, elle est souvent cocue “, déplore-t-il sur le site Contexte, spécialisé dans les questions européennes.

Pour autant, les partis qui se veulent hors système feraient mieux de ne pas trop plastronner. Leurs grands chefs, qu’il s’agisse de Jean-Luc Mélenchon ou de Marine et Jean-Marie Le Pen, figurent tous au-delà de la 700e place (sur 751) pour la présence au Parlement européen. En compagnie d’Eva Joly et de Philippe de Villiers.

BRUNO DIVE