« Elections européennes : “Il faut donner le pouvoir aux citoyens” »

Tribune publiée sur le site du journal Le Monde, lundi 27 novembre 2017

Emmanuel Macron s’est engagé à fond dans la relance du projet européen. Le hasard du calendrier lui donne une occasion inappréciable de réconcilier d’un coup les Français qui hésitent avec l’Europe. Ou de les en décourager durablement. Car il se trouve que la réforme régionale intervenue en 2015 va obliger la France à revoir le mode d’élection de ses députés européens.

« Les députés européens français sont moins des élus du peuple que des lauréats choisis par les directions de parti pour récompenser des fidélités ou éloigner des rivaux »

En effet, les 74 eurodéputés français actuels ont été élus dans huit immenses circonscriptions, découpées en fonction des anciennes régions. Dans ce cadre, les citoyens étaient appelés à voter en bloc pour une des listes dont les noms et la hiérarchie des candidats étaient décidés souverainement par les partis. Chacun admet les imperfections du système. En pratique les députés européens français sont moins des élus du peuple que des lauréats choisis par les directions de parti pour récompenser des fidélités ou éloigner des rivaux. Comment s’étonner si les électeurs les méconnaissent, si les « vrais élus » les méprisent, ou si les médias ne s’intéressent qu’à ceux qui, parmi eux, sont restés investis dans la politique nationale ? C’est une parodie de démocratie.

A partir de ce constat, deux thèses sont en présence. La première serait le grand bond en arrière. Le retour au système exigé par Michel Debré et les très eurosceptiques gaullistes en 1979 : considérer la France comme une circonscription unique. Seul avantage du système actuel, l’ancrage territorial relatif des élus disparaîtrait : tous seraient irrémédiablement « hors sol ».

En revanche, tous ses défauts seraient multipliés – par huit ! Le vote serait moins une élection qu’un sondage. Les eurodéputés du parti au pouvoir seraient de fait nommés par le président de la République, de la même manière que l’a été le délégué de ce parti ; et c’est à lui seul, et non aux Français, qu’ils auraient des comptes à rendre. Chaque président des autres formations serait trop heureux de suivre ce royal exemple. Ajoutons que, plus la circonscription est vaste, plus les mini-partis auraient une chance d’être représentés : aucune des tribus gauloises ne manquerait au Parlement de Strasbourg, le lieu même où, pourtant, la décision est faite par les gros bataillons.

La parodie tournerait ainsi au détournement de démocratie, à l’auto-affaiblissement de la France, par dispersion de ses votes, au moment où elle prétend relancer l’Europe, et, hélas, au divorce définitif entre les citoyens et une Europe que le pouvoir national aurait soigneusement veillé à garder hors de leur portée.

« Chabadabada » et « bébés Erasmus »

La seconde solution est rigoureusement contraire. Elle consiste à donner le pouvoir aux citoyens : le grand bond démocratique. Prenons comme circonscriptions les nouvelles régions administratives – pour 13 régions, cela ferait une moyenne de 6 eurodéputés à élire. Obligeons les partis à présenter des listes par ordre alphabétique. Permettons aux citoyens de classer eux-mêmes les candidats sur la liste : cette formule de « vote préférentiel » est appliquée avec succès en Europe du Nord et en Irlande.

On peut même aller plus loin, en autorisant l’électeur à panacher les listes, à la seule condition de respecter l’égalité entre les genres – le « chabadabada ». Cela déciderait les partis à choisir des personnalités connues dans leur région. Chaque candidat serait sur un vrai pied d’égalité, non seulement dans son propre parti (effet du vote préférentiel), mais aussi vis-à-vis de ses concurrents de partis plus puissants (grâce au panachage). Au final, ce sont les citoyens qui auront choisi les élus, et c’est à eux qu’il faudra que ceux-ci rendent des comptes tout au long de leur mandat. Cela s’appelle la démocratie.

Veut-on rajouter au scrutin une coloration plus « européenne » ? Mettons à profit une disposition des traités que l’on a étrangement oubliée : la possibilité d’élire en France des citoyens européens résidant dans notre pays. Ils vivent notre vie, nos problèmes, nos espoirs, à nos côtés, dans nos régions.

Ouvrons nos listes aux ingénieurs allemands d’Airbus à Toulouse, aux médecins roumains de nos déserts médicaux, aux dentistes belges, aux chercheurs scandinaves de Saclay, aux artisans portugais, à nos handballeurs croates, sans oublier les « bébés Erasmus » devenus majeurs et les conjoints étrangers de Français revenus au pays. Si un parti politique se proclame européen, il doit être capable de faire une telle ouverture en France. Et d’obtenir la réciproque de la part de ses partis frères des pays voisins. Cela s’appelle l’Europe. La vraie. Celle des peuples. Celle des citoyens.