Nuage atomique au-dessus de l’Europe de l’énergie
L’accord stratégique conclu il y a quelques jours entre l’Allemand Siemens et le Russe Rosatom est une très mauvaise nouvelle pour l’Europe de l’énergie.
D’autant plus mauvaise que Siemens a divorcé du constructeur nucléaire français Areva pour procéder à ce mariage, destiné à bâtir l’une des trois ou quatre entreprises mondiales capables de maîtriser toute la chaîne de construction et d’approvisionnement des centrales nucléaires civiles. Partenaire minoritaire d’Areva à un moment où l’Allemagne avait décidé d’abandonner progressivement la production d’électricité nucléaire chez elle, Siemens a décidé de devenir un acteur majeur de la filière quand il est apparu qu’à la faveur de la crise énergétique, les projets nucléaires refleurissaient partout : en Chine, en Inde, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Brésil, dans plusieurs pays arabes désireux de préparer l’après-pétrole … Même en Europe, un pays comme l’Italie qui, pourtant, avait renoncé au nucléaire par référendum, s’emploie désormais à rattraper le temps perdu. Dans ces conditions, plus question pour Siemens de se contenter des miettes d’un tel pactole ! Faute d’avoir pu renégocier un nouveau partenariat satisfaisant avec Areva, les dirigeants du groupe allemand n’ont pas hésité à s’allier avec l’entreprise publique russe Rosatom, qui dispose d’un savoir-faire comparable à celui du Français.
Cette décision vient s’ajouter aux autres coups de canifs donnés depuis plusieurs années au principe de la solidarité européenne en matière énergétique, pourtant rappelé à chaque Sommet de Bruxelles. L’Allemagne de Gerhard Schröder avait déjà montré le mauvais exemple, en signant un accord bilatéral avec la Russie pour la construction d’un gazoduc sous la mer baltique (North Stream), de manière à éviter tout intermédiaire entre le pays fournisseur et son client : la Pologne et les Etats baltes avaient réagi amèrement à ce cavalier seul germanique. Au sud-est du continent, un autre projet de gazoduc russe, South Stream, a vu plusieurs pays membres de l’Union (la Bulgarie, la Hongrie et même l’Italie) ou candidats (Serbie) jouer un double jeu troublant au détriment du projet concurrent Nabucco, destiné à assurer l’indépendance d’approvisionnement de l’Europe : en ce mois de mars, le sort de Nabucco n’est toujours pas clair.
On répète souvent que le tandem franco-allemand est le moteur principal de la construction européenne. On oublie sa fonction première : sans accord entre Paris et Berlin, il n’y a plus d’union en Europe. Sur un sujet majeur, si un ou plusieurs autres pays sont réticents, l’Europe peut être freinée, mais son unité n’est pas en cause ; si l’Allemagne et la France font des choix opposés, alors, il n’y a plus une, mais deux Europe !
En juillet 1993, une tempête monétaire d’une extrême violence s’est attaquée au franc après avoir emporté, l’une après l’autre, toutes les monnaies européennes autres que le puissant mark allemand. La plupart des experts recommandaient de laisser, soit le franc, soit le mark, flotter librement en s’exonérant des règles du système monétaire européen, précurseur de l’euro. Les dirigeants politiques s’y sont opposé : car dans ce cas, les intérêts monétaires, donc économiques et, à terme, politiques des deux pays auraient commencé à diverger. Il y aurait eu deux Europe. Le gouverneur de la Banque de France de l’époque, Jacques de Larosière, a trouvé la solution en allégeant les règles d’un système auquel les deux monnaies ont pu continuer de participer ensemble. Impressionnés par cette volonté politique, les marchés se sont calmés : la voie vers la monnaie unique était libre.
En 2009, une mauvaise combinaison d’infrastructures de transport d’énergie et d’alliances industrielles pourrait avoir des conséquences tout aussi graves que celles que l’on a évitées en 1993 : un axe Berlin-Moscou s’éloignant et, peu à peu, divergeant d’un axe Londres-Paris-Rome, pour la plus grande satisfaction de tous ceux qui, en Europe et hors d’Europe, souhaitent notre échec collectif.
En décembre dernier, sous présidence française, les 27 ont eu le courage de s’entendre sur une politique commune d’économies d’énergie et de lutte contre l’effet de serre. Le nucléaire et les gazoducs n’étaient pas au menu. Il est urgent de les y mettre. Il en va de la survie du projet politique européen.
Alain LAMASSOURE, le 9 mars 2009