OTAN : et si l’on cessait tous de faire semblant?
Le « retour » de la France dans l’OTAN est un de ces sujets bénis pour la passion, si française, des débats théoriques, permettant à chacun de prendre des poses avantageuses dans l’ignorance, involontaire ou assumée, des réalités concrètes. Sans perdre la passion, qui n’est pas indécente sur les grands enjeux, le débat gagnerait à partir de la situation du monde en 2009, et non plus de l’état des relations internationales en 1966.
Et si l’on cessait tous de faire semblant ?
La France n’a jamais quitté l’Alliance atlantique. Elle a commencé de réintégrer son organisation militaire depuis de longues années. Voilà déjà dix ans que ses avions ont participé, dans le cadre de l’OTAN, à l’opération de guerre contre le régime de Milosevic pour la libération du Kosovo. C’est aussi sous le commandement de l’OTAN que plusieurs de ses jeunes soldats sont tombés ces derniers mois en Afghanistan. Après les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et l’Italie, la France est désormais un des principaux fournisseurs de troupes de l’Alliance et un de ses principaux financiers. Au point que seuls l’aveuglement des polémistes et l’habileté de notre diplomatie permettent de faire passer le « retour » de la France comme une nouvelle concession de Paris à Washington : au contraire, la France va enfin obtenir, dans l’état-major et les organes centraux, les positions éminentes que son engagement sur le terrain aurait dû lui valoir depuis longtemps.
La vraie question n’est pas là. Curieusement, elle n’a jamais été posée publiquement, comme elle aurait dû l’être dès 1991 : à partir du moment où ont disparu l’ensemble du système soviétique et le Pacte de Varsovie, quel est l’intérêt de maintenir l’Alliance atlantique ? Pourquoi accepter de nouveaux membres, et jusqu’où ? S’agissant d’une alliance militaire, et non d’une union économique ou culturelle, quels sont ses ennemis, ses cibles ou, au moins, les menaces qui justifient son existence, son organisation et ses statuts ?
A ces interrogations, les sommets successifs de l’Alliance ont répondu par des platitudes : elles demeurent entières.
La vérité, est que, pour les Etats-Unis, l’intérêt militaire de l’OTAN est devenu très secondaire par rapport à son intérêt politique. L’Alliance permet surtout à Washington d’avoir un droit de regard sur tout ce qui se passe en Europe. Tant que le traité de Lisbonne ne s’applique pas, elle est une enceinte où les Américains peuvent parler aux Européens, avant que ceux-ci ne se retrouvent entre eux. En fournissant un débouché pour les élites militaires de ses membres, et en instaurant un droit de contrôle sur leur politique de défense et leurs approvisionnements correspondants, elle assure la « satellisation » militaire, et finalement diplomatique, d’une grande partie des Etats européens. Elle constitue enfin une garantie que, sauf coup de folie comparable à l’extravagante guerre en Irak, les Etats-Unis ont à leur disposition un vivier de pays prêts à faciliter une présentation « internationale » d’une opération politico-militaire initiée et conduite à Washington.
Dans le même temps, les Américains ne maintiennent plus en Europe que des effectifs résiduels, et des stocks d’armes destinés à servir ailleurs. Plus personne n’ose poser la question du « couplage » entre la défense du continent européen et celle des Etats-Unis, alors que la fin de la menace nucléaire soviétique a totalement déconnecté les deux. Parmi les pays de l’Est qui se sont hâtés d’entrée dans l’Alliance, combien ont relevé que l’agression russe contre la Géorgie, pays candidat, n’a suscité aucune réaction, autre que verbale, des autorités atlantiques ? Quels moyens, quelle stratégie seraient mis en œuvre si une agression de ce type survenait contre un petit membre de l’Alliance ? En 2009, l’OTAN dissuade qui de quoi ? La vérité, c’est que l’objectif, non seulement premier, mais unique, du Traité de l’Atlantique nord – la défense du continent européen -, a été perdu de vue.
Beaucoup de partenaires européens de la France font semblant de l’ignorer. Pour eux, la participation à l’Alliance est une sorte d’assurance-vie contre un voisin irascible – extérieur à l’Alliance mais aussi, parfois, à l’intérieur de celle-ci. Elle évite les coûts financiers et les risques politiques d’une politique extérieure et d’une politique militaire complètement indépendantes. Dans ce bal d’hypocrites, les Américains faisant semblant de défendre les Européens, ceux-ci font semblant de contribuer aux charges de l’Alliance, et à ses sacrifices : la triste histoire de l’opération militaire en Afghanistan est une photo cruelle de l’état réel de l’Alliance.
Le projet de bouclier antimissile basé en Pologne et en République tchèque est un autre bijou de ces vérités à géométrie variable. Les Américains déclarent haut et fort qu’il ne concerne qu’une future menace iranienne. Persuadés du contraire, Polonais et Tchèques se conduisent comme s’ils seraient désormais protégés de Moscou. C’est la lecture que font aussi les Russes, qui s’indignent d’une protection dont bénéficieraient des pays… qu’ils disent pourtant ne pas menacer ! Quant aux autres Européens, ils regardent ailleurs, comme si la question ne concernait que la protection du sol américain. Sauf les pays du sud, qui ne profiteraient pas de l’ombrelle protectrice, telle qu’elle a été présentée initialement. Vous y comprenez quelque chose ? Moi non plus.
Bouquet final du feu d’artifice. Les 27 pays européens alignent 2 millions d’hommes sous l’uniforme, mais, avec ou sans l’OTAN, avec ou sans l’Union européenne, moins de 5% sont capables de soutenir un « combat de forte intensité » comme on dit aujourd’hui pudiquement. Ensemble ou séparément, nous faisons tous semblant. Les quatre cinquièmes des membres de l’Alliance ne consacrent guère plus de 1% de leur PIB aux dépenses militaires : quand tout le monde sera sorti exsangue de la crise économique, à quel étiage auront-elles encore décru ? Puisqu’une nouvelle administration américaine est maintenant en charge, puisque la France, pionnière de la nouvelle défense européenne, retrouve toute sa place dans le débat et organise, avec l’Allemagne, le prochain sommet de l’Alliance dans cinq semaines à Strasbourg, peut-on espérer que tout le monde osera mettre bas les masques et qu’on parlera enfin du vrai sujet : comment défendre, et avec qui, notre territoire, nos valeurs et la cause de la paix dans le monde passionnant, dangereux et imprévisible du XXIe siècle ?
Alain LAMASSOURE, le 21 février 2009